La lettre du Pont Vieux
- gillesbarreauteur
- 16 févr. 2021
- 2 min de lecture
Il y a des gens qui rencontrent des fantômes, d’autres qui aperçoivent des
ovnis, d’autres encore qui prédisent l’avenir. Et tous ces gens-là sont la révérence ou
la risée d’autres gens. Cela fait quelques jours que je suis témoin d’un phénomène
extraordinaire. J’ai peur. Je crains même de vous livrer mon secret. Mon Dieu, que
dois-je faire ? Qu’est-ce que cela qui me tyrannise ? Soit je continue à me taire, on me
prendrait pour un fou, soit je vous livre ce qui terrorise mon quotidien. C’était
samedi dernier. Je quittai le domicile d’un client, et je me suis arrêté sur le Pont
Vieux pour observer l’eau du Tarn lécher les rives des quais. La pluie avait cessé, le
soleil en avait profité pour me réchauffer. Quand je me suis tourné vers la chaussée,
mon ombre s’étirait sur plusieurs mètres. J’étais devenu un géant. C’était rigolo.
Tout à coup, mon sang se glaça. Le temps infime de cligner des yeux, et j’ai vu mon
bras, là par terre, sombre et déformé, se soulever vers le ciel. Mon bras à moi, le vrai
celui qui relie mon épaule à ma main pendait le long de mon corps, inerte. Mon
ombre-bras a bougé tout doucement. J’ai vu ma main s’ouvrir, et mes doigts s’agiter.
Mon ombre me faisait coucou ! Mes yeux se sont écarquillés. Ma respiration
saccadée secouait déjà ma poitrine.
Bravant tout sens commun, et par là même le fait qu’on ne peut semer son
ombre, j’ai filé chez moi. Depuis, cela n’a fait qu’empirer. Mon ombre me suit. Mais
elle ne se comporte pas comme toutes les ombres. Elle n’est même pas collée à moi,
et ne prolonge même plus mon corps. Non, elle mène sa vie d’ombre,
tranquillement, se glissant derrière les rideaux, s’enroulant autour de mes livres, se
frottant à moi partout où je me trouve. Dès que j’ose sortir, cette énigme sournoise se
comporte comme ses pairs : une ombre docile, sans vie propre, qui étire ma
silhouette et la déprave au moindre de mes mouvements. Je n’en peux plus. Chaque
matin, au réveil, je garde les yeux le plus longtemps fermés en priant pour qu’elle ait
disparu. Et puis je sens un frôlement, je sais qu’elle est là, près de moi, elle m’épie.
Que puis je faire ? Un psychiatre pourrait me secourir ? Un remède de sorcière pour
m’aider à combattre l’irrationnel ? Il faut que je me mette à lire tous les bouquins de
Gilles Barré
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m’aider à combattre l’irrationnel ? Il faut que je me mette à lire tous les bouquins de
Freud pour me délivrer de cette malédiction.
J’ai tout essayé mais, on ne peut pas tuer son ombre. Alors, j’ai décidé de vivre
dans le noir.
J’ai accumulé ces derniers jours assez de nourriture pour ne plus sortir de chez
moi avant longtemps. Derrière mes volets, les gens disent que j’ai du me payer des
vacances à l’autre bout du Monde ? Au secours, aidez moi. Ma maison est à moi,
c’est mon refuge et je gagnerai bien cette bataille. Mon ombre devra bien s’avouer
vaincue à force de ne plus exister. Car sans lumière, point d’ombre !
Je scotche cette lettre, où tout a commencé, sur le Pont Vieux.
Dans une heure le soleil va se lever. Il faut que je parte. Que je retourne chez
moi.
J’ai une vie d’aveugle à mener….
Gilles BARRé
17/01/21

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